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Oran langue morte, Assia Djebar, Actes Sud, 1997

Algérie et le Maghreb - citations

Oran, langue mort, Postface “Le sang ne sèche pas dans la langue”

Dans ces nouvelles (y compris un récit et un conte), qu'ai-je cherché entre deux espaces, entre Algérie et France, ou dans la seule Algérie, tandis qu'elle est de plus en plus écartelée entre désir et mort ? Qu'est-ce qui a guidé ma pulsion de continuer, si gratuitement, si inutilement, le récit des peurs, des effrois saisi sur les lèvres de tant de mes sœurs alarmées, expatriées ou en constant danger ? Rien d'autre que ce désir d'atteindre ce "lecteur absolu" - c'est-à-dire celui qui, par sa lecture de silence et de solidarité, permet que l'écriture de la pourchasse ou du meurtre libère au moins son ombre qui palpiterait jusqu'à l'horizon.

Mais je me le demande : existe-t-il encore aujourd'hui du rose, au soleil couchant, au soleil sanglant, dans le ciel algérien ?
Paris, août 1996.

 

Mohédine Béjaoui « Assia Djebar », Paris, août, 1996 :

Après avoir traversé la Méditerranée, Assia Djebar a élu “domicile” en Louisiane. Loin d’Oran, de Strasbourg, elle semble s’éloigner pour mieux se rapprocher de son peuple. La nostalgie reconstruit paradoxalement l’avenir quand le présent s’effrite. En publiant Oran langue morte, Assia Djebar a choisi la collection “Un endroit où aller” chez Actes Sud.

 

La géographie variable de la littérature de Djebar épouse une histoire qui hésite – comme toujours – entre la timidité et le bégaiement.

 

Djebar raconte des récits de femmes, d’hommes pris dans ce bouillonnement particulier de la mémoire algérienne.

 

Bien qu’elle semble avoir pris une distance “respectueuse” avec l’exigence historiographique depuis la parution de L’Amour, la fantasia, Djebar reste fixée sur le passé des individus acteurs de l’histoire immédiate.

 

Beïda Chikhi affirme à ce propos qu’ « on peut envisager, pour l’avenir de l’oeuvre, un retour en force de l’Histoire »  […]

 

C’est la capacité de Djebar d’écrire en pleine guerre sans en parler qui donne à son oeuvre une originalité exceptionnelle dans la littérature maghrébine.

 

Plusieurs critiques – dont Beïda Chikhi – sont unanimes pour relever chez l’auteur une démarche proustienne dans son rapport à l’art et à l’histoire: “La seule histoire possible sera cella des oeuvres d’art à dire des discontinuités.” C’est dans ce sens que la littérature de Djebar est singulière dans sa contribution à la construction universelle de l’art du roman.

 

Elle décrit les discontinuités homme-femme, jeunes-vieux, France-Algérie, moi-les autres comme une genèse de l’individu sans cesse avorté parce que la « promesse » n’est jamais tenue.

Qu’il s’agisse de promesse de l’Homme Nouveau Socialiste, de promesse de modernité, ou de liberté, aucune n’a été tenue et les femmes algériennes n’ont pas fini de le payer à leur « corps défendant – défendu ».

 

Djebar parle des femmes, Irma, Nawal, Félicie, Annie et Schéhérazade, de Strasbourg et d’ailleurs. Il importe peu d’où elles viennent, elles sont partout, éclatées, des « femmes en morceaux ». Ces femmes d’Alger sur lesquelles Delacroix a levé le voile, que Picasso a dénudés, que la barbarie viole aujourd’hui, ne représentent ni des réalités interchangeables, ni une réalité qui a véritablement change dans cette Vaste est la prison.  […]

 

Chaque fois que Djebar convoque sa mémoire, la restitution du passé nourri des mots d’amour arabo-berbères dans une « langue entachée du sang des ancêtres » prend la forme d’une dangereuse introspection. Parce que « le sang ne sèche pas dans la langue », la plume remue par trop dans la plaie. Mais pourrait-il en être autrement?

 

Voilà la réponse d’Assia, que chaque jeune Maghrébin aurait dû avoir comme grande soeur – nous aurions, nous les homes maghrébins, beaucoup progressé:

 

« Ma nuit remue des mots français, malgré les morts réveillés… ces mots, j’ai cru pouvoir les saisir en colombes malgré les corbeaux des charniers, malgré la hargne des chacals qui déchiquettent. » (L’Amour, la fantasia, p. 244, 1985)

 

Plus de treize ans après, les mots continuent de remuer, nous nous réveillons tous les matins avec les statistiques macabres, les chacals déchiquettent et les Frontières sont closes.

 

Il pourrait pourtant en être autrement.

 

Mohamed Kacimi-El-Hassani, « Femmes algériennes. » Jeune Afrique, 25 juin au 1 juillet 1997

 

Comment écrire quand les morts tombent plus vite que les caractères des téléscripteurs ? Quoi écrire sue une tragédie sans visages, où l’arme du crime et la victime portent le même nom : Algérie ? …

 

Beaucoup ont tenté de dire la nuit algérienne. Avec leur charge, légitime et poignante, de révolte et de colère. Mais souvent ces récit finissent, hélas ! en prêche laïc. Pour recoller les morceaux d’une histoire algérienne, déjà amplement morcelée, des auteurs se font l’incarnation d’un destin collectif. Mais à force de courir après l’histoire et les événements, cette littérature y laisse sa peau. C’est-à-dire parler de la vie. Dire l’individu.

 

Mais quoi faire donc? s’interroge Assia Djebar. Tourner le dos à la tragédie et ne plus parler que du passé ? Se réfugier dans les mythes et les légendes pour éviter au récit le sang et la tourmente ? Sûrement pas ! Il faut écrire autrement le drame.  …

 

Saisir un fragment de vie pour dire le chaos du monde. … Elle décrit, du dedans et de l’exil, le monde muet des femmes algériennes, en se glissant « au plus près de leur cœur et de leur corps ». Elle évoque, non les failles courantes, mille fois exhibées comme du linge sale, du parti unique à la genèse de l’intégrisme, mais le quotidien. L’ordinaire de vies de femmes, blessées dans l’Histoire, le corps, le nom, et dont l’amour d’une autre langue, d’une autre homme, débouche, comme par malédiction, sur la mort ou l’exil. …

 

C’est donc Isma, morte pour un amour né des chants berbères. Ou Ouardia, précipitée dans le vide par sa mère, pour sauver l’honneur de la famille. Et quand la mort bouche l’horizon, la conteuse nous fait fuir à Bagdad. Relire Les Mille et Une Nuits, suivre l’intrigue d’un crime amoureux que tente d’élucider Haroun al-Rachid. Mais Shéhérazade se tait. Les fous de Dieu n’ont pas la patience de Shahrayar, ni sa passion du conte. Ils achèvent Atika qui raconte à Alger cette histoire.

 

Qu’on ne se trompe pas, Oran, langue morte est aux antipodes de la littérature macabre de ces temps. De récit en récit, Assia Djebar nous esquisse la silhouette de ces femmes qui ne se croient ni héroïnes ni victimes. Elle nous en retrace les rêves, la solitude, et l’espoir insensé d’être, malgré le voile de suie qui leur tombe dessus. Et ce dans une langue dévoilée, nue, simple, qui tourne le dos au style, parce qu’elle habite la chair.

 

Mohamed Berkani, « Assia veut retrouver son Algérie », www.afrik.com, March 4, 2001 :

 

Oran, langue morte. Le titre, énigmatique, est une ouverture vers le cimetière. Des vivants et des morts. Zombies. Les vivants sont en sursis, les morts ne le sont jamais totalement. Avec une rare maîtrise de la langue française et de l’arabe, Assia Djebar, orfèvre du verbe, cisèle ses douleurs et ses abattements. Incompréhensions et deuils infinis. C’est avec une rage froide, née d’un amour déçu, qu’Assia Djebar s’attaque aux années noires de l’Algérie. Ces années où les intellectuels et journalistes tombaient comme des oiseaux. Cela donne des nouvelles tristes. Justes mais tristes. Belles mais – toujours – tristes. L’écrivaine exorcise ses angoisses.

 

Vivre à Oran et y mourir

Le livre de Assia Djebar est résolument féminin. Femmes abattues, femmes battues, égorgées. Femmes rebelles, battantes. Assia donne la parole aux Algériennes. Comme sur la couverture du livre, La mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix, l’homme est cet être qui tient le couteau. Son rôle se trouve en marge de la raison. Comment comprendre la folie (sanguinaire)? Dans la nouvelle « La femme en morceaux », l’histoire des mille et une nuits, hystérique de l’assassin. La langue française devient une patrie, un paradis. Ou simplement un havre de repos. Boucher les oreilles entre les nouvelles. Car ce livre est une plainte continue.

 

Assia Djebar libère un flot de violence réparateur. Oran, langue morte est à l’image du proverbe oranais: on y rentre en courant et on en sort en fuyant. Difficile de se regarder dans une glace. Un livre coup de poing.

 

Hassane Zerrouky, Revue Oran, langue morte et Nuits de Strasbourg, Assia Djebar, L’Humanité, 12 septembre 1997:

Dans « Oran, langue morte », on est vite plongé au coeur de l’actualité algérienne. « Récits des femmes de la nuit algérienne », écrit Assia Djebar. Récits de femmes dans Alger en proie au terrorisme intégriste. Parole féminine sur cette violence au quotidien.

C’est l’histoire de Naïma, qui pressent la mort prochaine de Mourad, son compagnon, journaliste, ou encore celle d’Isma et de sa relation amoureuse avec un étranger de passage dans la capitale. Isma qui finira par être assassinée au moment où elle se décide à quitter son mari pour cet étranger, un Somalien sans doute, musicologue. La nouvelle se présente sous forme d’un dialogue entre Isma et son ami, Nawal, disparue six mois plus tôt, déchiquetée par l’explosion d’une bombe. Un dialogue où Isma croyant se protéger change de quartier, d’apparence, variant sa façon de s’habiller, de porter des lunettes, marche mécaniquement dans la rue, sans s’arrêter, se muant en passante anonyme, mais, après sa rencontre avec cet étranger, elle se remet à vivre, à rêver et finalement décide de le rejoindre aux Pays-Bas.

Dans la nouvelle intitulée « la Femme coupée en morceaux », Assia Djabar fait alterner des éléments du conte traditionnel, issu des « Mille et une nuits », et les débats suscités par sa lecture dans la classe de seconde d’Atyka, professeur de français à Alger. Une structure du récit qui est mise en évidence par l’alternance des typographies. Alors que le récit des « Mille et une nuits » fait se succéder chronologiquement toutes les étapes, Assia Djebar, par un procédé de retour en arrière, met l’accent sur la modernité de la relation conjugale faite de tendresse et de sensualité, déjà présentes dans le conte mais de façon diffuse. A la fin du récit, l’horreur et la violence de la réalité (Atyka décapitée en plein cours devant ses élèves par des tueurs intégristes) basculent dans le récit traditionnel et l’investissent. Atyka, tête coupée, déposée sur le bureau, finira le conte, devant le jeune Omar, spectateur du drame, qui dans son délire rejoindra Haroun el Rachid, le calife de Bagdad, sanglotant sur « le corps de la femme coupée en morceaux ».

Dans toutes les nouvelles, Assia Djebar donne à ses personnages une épaisseur qui les rend très proches. Elle s’en explique dans la postface : « Je me dis parfois : tu les saisis de loin, écris les en te glissant au plus près de leur corps, de leur coeur ! » Après tout, quelle que soit l’approche tentée pour les écrire frémissantes, le sang - leur sang - ne sèche pas dans la langue, quelle que soit cette langue, ou le rythme, ou les mots finalement choisis ».http://www.humanite.fr/journal/1997-09-12/1997-09-12-787166