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Vaste est la prison, Albin Michel, 1993

Réception algérienne & maghrébine

 

 

 

« Exils et royaumes des écrivains algériens », Sadek Aïssat

 

L’exil est une longue insomnie, disait Victor Hugo, au moins, tient-elle les écrivains éveillés. […]

 

Assia Djebar dresse une fragile silhouette d’androgyne, mais projette une ombre impressionnante : celle d’un grand écrivain. Dans Vaste est la prison (Albin Michel), elle entreprend de défaire la prison que chacun porte en lui-même, la sienne. Le récit procède d’une narration pudique, adolescente ; parce que autobiographique ? Il déroule les douleurs ordinaires de journées prises dans les murs de cette banalité qui fait les prisons les plus obstinées. Il n’y a pas d’éclat dans la voix et, si la violence est tapie derrière les mots, on s’en sent protégé, c’est la violence de l’auteur, celui-ci l’assume et nous en préserve. Il y a de l’enfance et une tendresse toute maternelle, beaucoup d’amour, dans ce récit de femme amoureuse qui, aimant comme une enfant, se trouve aux prises avec ce sentiment nivelant de culpabilité qui set de parapet à des sociétés à la vérité, aux perspectives, hésitantes.

 

Dans la deuxième partie de son livre, Assia Djebar fait revivre un bien curieux personnage : Thomas d’Arcos, Provençal réduit en esclavage à Tunis où, une fois affranchi, il décide de finir ses jours et se convertit à l’Islam. Il nous mène aux inscriptions punico-libyiques de Dougga, et enfin à Massinissa, ce roi Numide qui rêvait, trois siècles avant Jésus Christ, d’unifier l’Afrique du Nord, rêve que la Rome impériale n’eut de cesse de briser. Un chapitre sur Tin-Hinan, reine targuie légendaire, sert de lien avec une troisième partie, un retour aux femmes d’Algérie – thème majeur des derniers romans d’Assia Djebar – dont l’auteur nous présente les portraits de « femmes arables ».

 

Vénus Ghata Khoury, Quantara, n° 16, Juillet-Août-Septembre

 

« Le livre d’Assia Djebar, Vaste est la prison, est composé de plusieurs volets et l’écriture en est le personnage principal. Elle court d’un récit à l’autre, magique, haute en couleurs, donne la parole à des femmes muselées par des siècles de mutisme, déchiffre des écritures non identifiées sur une stèle de cimetière. Qu’elle raconte les femmes entre elles au hammam, ou la femme seule, face à l’homme, essayant de le convaincre de son innocence alors qu’elle ne fait que déclencher son agressivité, Assia Djebar, Assia Djebar reste soucieuse de la femme et du style. Ses personnages surgissent de loin. Thomas d’Arcos vécut en 1630 en Tunisie, comme esclave pris dans une galère et son histoire, belle à couper le souffle, rebondit de siècle en siècle, des Borgia jusqu’à l’actuel Vatican. Il y a là matière à faire un best-seller. L’héroine du premier récit, est-ce l’auteur elle-même, semble arriver d’un passé lointain. Une femme d’âge mûr raconte une passion de jeunesse et c’est aussi pudique, aussi déchirant que l’histoire de La Princesse de Clèves. Assia Djebar est une conteuse doublée d’un écrivain, un vrai. »

 

 

 « VASTE EST LA PRISON. Assia Djebar. »

La lecture des œuvres de Assia Djebar rend ma prise de distance difficile et atteint profondément mes capacités mnésiques. Elle provoque en moi « un remue ménage » psychique, de déconstruction et reconstruction permanant. Je vais pourtant tenter d’écrire comment j’ai vécu la lecture de cet ouvrage, moi qui n’écris jamais.

Vaste est la prison est un roman particulièrement violent selon moi. Lorsque je l’avais lu la première fois en 2001, j'ai été profondément secouée; et cet état avait duré longtemps pour ne pas dire que c’est encore d’actualité. Sa relecture me provoque à chaque fois les mêmes sensations de douleurs, d'étranglement, de tristesse, de rage et de fatalité. Tout  à la fois et paradoxalement, s’impose en moi un fort sentiment de créativité. Et le club de lecture en est un résultat !

 

La première partie du roman m'avait particulièrement bouleversée tant que j'ai habité le mouvement, la douleur et la torture du corps, des yeux, de la voix et de la psyché de la narratrice.

 

Selon moi, la particularité de cette histoire consiste dans le fait de tenter d'écrire d’abord ce qui ne s'écrit pas tout simplement. L’auteure tente d’écrire ce qui ne peut jamais s'écrire dans un contexte psychosocial alimenté par le tabou (la hachma), l'honneur (el ard) qui délimitent de manière stricte les frontières entre les hommes et les femmes. Chaque geste, chaque mouvement est codifié, chaque parole est « tournée sept fois dans la langue » avant d'être dite dans un cadre restreint : un univers masculin pour les hommes et un univers féminin pour les femmes.

 

C'est pourquoi, la première partie est un acharnement compulsif, obsessionnel pour contrecarrer ce qui est venu violenter les quelques certitudes sur lesquelles la narratrice s'appuyait. Elle découvre très tardivement (mariée) que dans l'arabe dialectal, les femmes utilisent le vocable Ennemi (l'a'edou) pour parler entre elles des hommes.

Pourtant, malgré toutes les tentatives d'échapper à l'enfermement, en essayant de contrecarrer les mouvements de la pensée, du corps, des yeux et des affects imposés par les conventions, elle ne peut échapper à l'étau du harem féminin qui l'aspire.

 

La seconde partie du roman m'avait alors désorientée, elle me paraissait longue, historique, difficile après une première partie qui me prenait par les tripes. J'avais le sentiment que la narratrice voulait nous éloigner de ce vécu intimiste qu’elle ne voulait pas dévoiler mais que paradoxalement il fallait l’écrire.

 

J'ai pensé alors que cette deuxième partie historique crée le clivage comme signe d’une manifestation violente de la résistance. Tout à la fois, une étape intermédiaire, un temps de repos, de latence pour reprendre son souffle avant de poursuivre une quête de soi où l'individu n'existe que dans un destin féminin groupal ce qui est plus supportable car on est moins exposé, donc moins culpabilisant. Par conséquent, les points de rupture sont moins saignants.

 

A mon sens, l'ordre des idées dans le roman mis autrement aurait causé moins de point de rupture si l'auteur avait respecté les conventions sociales de la société algérienne. En effet, elle aurait dû débuter par l'histoire du groupe des femmes et leur trajectoire de vie. Le « nous » aurait eu le dessus sur le « je ». Or dans la structuration du roman, le « je » prime sur le nous ce qui provoque une rupture, un choc, du moins lorsqu’on est habité par cette culture.

 

Par ailleurs, il est à noter que tout le mouvement corporel d'abord, affectif et psychique ne répond pas aux conventions psychosociales régies par la culture et la religion. Le degré de la violence vomi dans le texte démontre paradoxalement combien le besoin d'exister est urgent et vital. Il conduit inexorablement au rejet des conventions qui emprisonnent la narratrice et dont elle ne peut échapper totalement. Une limite qu'elle ne pourra pas être franchie. Cet état de fait, se reflète dans la manière dont elle décrit l'Aimé ; elle lui donne un aspect fantomatique,  effacé et passif.

Ce dernier est condamné à devenir lui aussi un ennemi car la narratrice ne peut pas franchir une limite qui lui était impossible d'atteindre. Elle est condamnée à se rallier aux destins des femmes (aïeules).

Or pour que le désir se manifeste, l'Autre, même sous son aspect fantomatique doit exister, vivre, avoir des traits humains, à minima. Pourtant ce minimum du réel renvoyé par l'Aimé est déjà de trop.

Afin de se faire pardonner ce nouvel écart de la communauté féminine, elle recherche la sanction infligée à toute femme qui ose franchir l'infranchissable : l'adultère est puni par la violence conjugale et une sanction religieuse qui est la répudiation. Or aucun acte adultère n'a été commis. Seuls, la fantasmatisation, la rêverie, les sentiments éprouvés, suffisent pour condamner une femme et de surcroît une femme mariée à l'adultère.

 

Ce roman est digne d'une auto analyse. Ce cheminement psychique, telle une arabesque construit dans le va et vient permanent provoquant rupture et vertige, parfois le chaos, mais rupture pour un lien, construction déconstruction ne percevant pas le début et la fin, est nécessaire pour pouvoir penser l'indicible, et de surcroît ce qui n'a pas lieu d'être écrit. Repenser son histoire. C’est faire le deuil.

 

C'est pourquoi, je considère que c'est l'œuvre de l'auteure la plus belle car  la plus proche de la quête de soi, une écriture habitée par les éléments proches de l’archaïque.

 

Amel Chaouati 28 août 2005

Fondatrice : Assia Djebar, Club des Lecteurs, Paris 2005