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Ombre Sultane, J.C. Lattès, 1987

Réception algérienne

 

 

« Ombre sultane d’Assia Djebar » Mouny Berrah Révolution Africaine no. 1201

8 Mars Journée Internationale de la Femme Elles, 1987

 

A l’orée du 8 mars, un texte au féminin. Assia Djebar signe le second volet d’un quatuor romanesque inauguré avec L’amour, la fantasia. Entre bruissement d’ailes – d’elles ? – et chuchotements précaires, le texte se réapproprie l’Histoire. Celle des femmes. Et tandis que la sultane monte au combat, son ombre – « dame assise, nature morte » - risque de la trahir. Un roman somptueux.

 

C’était dans L’amour, la fantasia, premier mouvement d’un quatuor romanesque où Ombre sultane s’immisce, en contrepoint, à contre-jour, avec des frémissements de fugue. Entre la fragrance des menthes fraîches, des coriandres tenaces, des jasmins entêtants et la texture de la lumière éparpillée dans tout le texte « entre la moire de la nuit et le métal du jour nouveau », la mémoire, dévoreuse de passion, ramène au présent une autre errance, celle de La nouba des femmes du mont Chenoua, par des bribes de phrases : « un bruit d’ailes frissonne dans le pigeonnier ». Qui se souvient du pigeonnier de La nouba ? Au fil du récit où deux textes se délient, se rejoignent, s’affrontent, Ombre sultane se donne à lire en référence à L’amour, la fantasia, qui, dans cette langue française « devenue entremetteuse », s’en allait chercher dans l’histoire, l’imaginaire et ses refoulés, la résonance d’une autre langue, porteuse d’une autre loi : « Iqrâ ». Là Alger « surgit dans un rôle d’orientale » pour que s’y projette, quelque temps après, cette « ombre et sultane, ombre derrière sultane ». Ombre sultane où, comme dans un flash-back, resurgit la dentelure de la Zerda, l’autre film de l’auteur.

 

 

A la démonstration, à la thèse, à l’explication, Assia Djebar a toujours préféré le frisson du mot précaire, le mystère du chuchotement, l’inquiétude du murmure. C’est dans l’insécurité absolue et non pas dans la quiétude du didactisme, de la pédagogie, que le lecteur est invité à se laisser malmener. […]

 

[…]

 

Mise en choc continue de ce qu’un personnage de femme permet : la réalité et le fantasma.

 

[…]

 

C’est qu’à un moment, le duo Isma-Hajila répond une voix tierce, composant le livre II, « Le saccage de l’aube ». Il livre quelques clés de lecture comme autant de jalon d’une mémoire qui irait chercher dans les mille et une nuits ce don d’ubiquité des sultanes.

 

[…]

 

Pour nous mener par le bout du cœur jusqu’au bout de ses idées, l’auteur emmêle et sépare deux textes déchirants. Désirs et rebellions. Sensualités délicates et transgressions rugueuses. Laine et soie, lin et satin, la texture de la matière se tisse au fil des mots… 

 

Au loin, sur une ligne d’horizon improbable, les fantômes orientalistes : un chuchotement de Fromentin juste au détour d’un bain turc ; une sultane hugolienne, résurgences de Les Orientalistes, Assia Djebar se réapproprie l’Histoire et les regards volés par l’Autre. La sultane ici se prépare au combat. Derrière elle son ombre la trahit. Elle reste assis : « dame assise, nature morte. »

 

« A l’ombre des jeunes filles en pleurs » signé M.C. Algérie Actualité 1 avril 1987

 

Si tu as soif, l’alcarazas est là dehors, et les citrons ». C’est Colette qui invite à se désaltérer dans « La naissance du jour ». C’est bien vrai donc qu’une réminiscence vaut par son contexte et si Assia Djebar, au souvenir « de la série des Claudine » et de « Chérie », fait une halte rapide tout près d’une réclusion pour cause de mariage, c’est que le rêve est une redoutable thérapie qui a le pouvoir de reléguer la réalité au royaume des songes.

 

De ce point de vue, « Ombre sultane » est, avant tout, affaire de repères. Entre Bonnard qui s’extasie devant la qualité de la lumière et Scherazade qui se sert de Dinarzade comme d’un adjuvant, voilà Germaine Tillon qui s’essaie à démêler entre « le harem et les cousins » tandis que Victor Hugo contemple une sultane à sa fenêtre. Entre ces quatre coins d’un jeu absurde, Assia Djebar ne veut renier ni sa culture ni ses origines. Elle écrit et dépeint.

 

Isma se sert de Hajila et devient, ce faisant, la « marieuse de son propre mari ». Hajila, timorée, passive, s’enhardit soudain. Ses « échappées » vers la lumière sont moins une tentative de révolte qu’une façon de réintégrer le monde. « Lui », enserré dans ses guillemets comme un condamné à perpétuité dans sa geôle, a beau penser avoir ordonnancé. La scène est la pièce,  il n’est que ce faire-valoir d’un drame qui se noue autour de lui et dans lequel il n’arrive jamais à jouer son propre rôle.

 

Mais il ne faut pas confondre. « Ombre sultane » n’est pas un roman féministe, c’est un roman féminin ; c’est-à-dire qu’il obéit à un parti pris, qu’il dévide une histoire de femmes et que, dans ce retranchement volontaire, la totalité du monde, celle qui nous est sensible du moins, est quand même restituée.

 

Si la lumière dans « Ombre sultane » est si présente, si décisive, si lancinante, c’est qu’elle éclaire d’un jour cru de pitoyables mesquineries qu’une société, organisée pour le malheur de ses membres, aurait voulu laisser dans l’ombre. S’il y est bien question de harems, de sérails, de portes closes, de voiles qui soustraient à la vue et à la vie, ce n’est pas pour autant qu’il s’agit de dérives orientalistes, encore moins de nostalgies fabriquées de toutes pièces et dont est responsable une certaine littérature.

 

[…]

 

Si le roman plonge ses racines dans une société qui se désagrège et se nourrit d’une histoire polygame, c’est que parfois, et par un curieux retournement, l’exception se substitue à la règle. Au bout de compte « Ombre sultane » échappe, comme s’il vivait de vies différentes, à l’époque et aux personnages. Surgi du passé, mitoyen à la souffrance et à la compassion, « Ombre sultane » s’affirme comme un roman résolument moderne.

 

 

 

 

« La lumière de l’ombre » Livre du mois, signé F.O. Actualité de l’Emigration, 1987.

 

Une voix se lève dans l’ombre, murmure qui devient complainte. Paroles qui se voudraient dialogue avec l’autre femme, avec celle qu’on nomme « Derra » la blessure… mais le dialogue se mue en monologue pour se dire, pour dire la vie de l’autre, la vie de toutes les autres femmes, celles qui peuplent la mémoire et celles qui traversent le présent. Mères, épouses, jeunes filles en attente de mari, leur vie comme le récit tourne autour de l’absence-présence de « l’homme », époux, père, frère, il est à jamais le gardien du Harem, celui qui protège, qui enferme, garant de l’Honneur.

 

 […]

 

Isma, Hajila : deux femmes, ni rivales, ni complices, en apparence très différentes l’une de l’autre et pourtant si Isma se sent autant liée à Hajila, c’est bien parce qu’elle garde en elle le souvenir de son enfance, de tous ces visages de femmes cloîtrées, en attente, Isma « charrie le flot des peines, elle (je) ne sait pourquoi les corps couchées des femmes la (me) devancent, obscurcissant son (mon) chemin. » Femmes au service de l’homme : père, époux, fils. Au gré de la mémoire, une plainte de femme surgit lors de la préparation d’un repas de noces, un visage celui de « l’expulsée  pour des intentions d’amour » que le frère chasse de la petite ville, les sanglots d’une jeune mariée au lendemain d’une nuit de noces sur une « natte », la colère d’une adolescente devant la soumission de sa mère enceinte pour la huitième fois… 

 

[…]

 

Le livre refermé on garde en soi longtemps la musique qui parcourt, qui porte cette voix de femme qui sait si bien dire l’amour, la sororité, la soumission et la révolte des femmes, l’amour des lieux aussi : des patios, des maisons mauresques, des terrasses, du Hammam, de la ville antique de l’enfance, de la lumière, du parfum des lentisques et du jasmin.

 

« Le harem et les cousines » par Arezki Metref El-Moudjahid, mars 1987, p. 28

 

Il faut reconnaître à Assia Djebar les qualités d’un écrivain plein de ressources même si, comme c’est le cas pour ce dernier roman, on ne partage pas la conception par trop intellectualiste de la femme algérienne. Avec L’Amour, la fantasia, elle a indubitablement conquis sa place parmi les romanciers, rares, au souffle long et fécond et à la vision panoramique qui marient, dans la même écriture, toute d’exigences et de renouvellement, l’intimisme des destinées individuelles aux destins épiques des peuples. Un tel maître-livre laissait espérer une œuvre ultérieure portée par le grand air, respirant le vent du large. Or, Ombre sultane exhale tout juste le parfum ambigu du harem. Il surprend le combat secret et intense de femmes aux traits d’odalisques à peine dissimulés, aux prises avec leur corps et le corps social. 

 

[…]

 

Dans ce roman, Assia Djebar plaide pour la libération du corps de la femme en libérant, elle-même, le langage. La sensualité qui ruisselle des rapports entre Isma et son mari est digne de la littérature la plus libérée. Assia Djebar vole de l’intérieur un regard au harem, jette en vrac les désirs refoulés ou accomplis qui, dans la demi-obscurité, faisaient rêver les orientalistes. La présentation du livre nous avertit : « Le harem est souvent prétexte à évasions orientalisantes. Mais, sur cette réalité toujours actuelle, voici pour la première fois, inspirée de l’intérieur une œuvre toute d’authenticité et de densité poétique.

 

 

« Caricature de tribunal » mai 1987, Algérie-Actualité, Ahmed BEN ALEM

 

« La vie pour la vie », Mohamed Mediéne

Algérie-Actualité n° 1276 29 mars au 4 avril 1990

 

Assia Djebar, « La Violence du silence », El Watan M.C. Ghebalou

15 avril 1991

 

« Ombre sultane » (1987) peut être considéré comme le deuxième volet de l’histoire commencée avec « L’Amour, la fantasia ». Les relations de deux femmes, Isma et Hadjila, donnent au récit une intonation particulière. Le thème de la violence de l’homme envers sa propre femme dénote toute la pesanteur de la relation amoureuse jamais atteinte dans l’œuvre de Djebar. Le dénouement du discours romanesque semble être toujours alimenté par la mort.

 

La volonté d’émancipation de la femme trouve toujours un écueil – masculin – pour sa réalisation. Dans cette œuvre, Hajila est frappée par son mari au retour d’une de ses sorties. Nous découvrons les rapports d’opposition dominants dans l’œuvre djebarienne, comme l’espace du dedans, à l’intérieur de la maison, l’enclos limitant les mouvements de la femme et l’espace du dehors où se manifeste la rupture des tâches quotidiennes, comme une volonté délibérée d’asseoir sa propre vision du monde.