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Femmes d’Alger dans leur appartement, 1980

Réception algérienne

 

« Femmes d’Alger dans leur appartement d’Assia Djebar », Albin Michel communiqué de presse, 11 mai 2002

 

En 1832, dans Alger récemment conquise, Delacroix s’introduit quelques heures dans un harem. Il en rapporte un chef d’œuvre, «Femmes d’Alger dans leur appartement », qui demeure un « regard volé ». Un siècle et demi plus tard, vingt ans après la guerre d’indépendance dans laquelle les algériennes jouèrent un rôle que nul ne peut leur contester, comment vivent-elles au quotidien, quelle marge de liberté ont-elles pu conquérir ?

 

Dans ce recueil de nouvelles publié pour la première fois en 1980, -- ici augmenté d’une longue nouvelle inédite « La nuit du récit de Fatima » --, Assia Djebar raconte le vécu, la difficulté d’être, la révolte et la soumission, la rigueur de la Loi qui survit à tous les bouleversement et l’éternelle condition des femmes. 

 

Tahar Djaout on Femmes d’Alger dans leur appartement

A-A N°761 15 – 21 mai 1980

 

 « Il suffit cependant de parcourir quelques pages de ce livre pour se rendre compte que ni les nostalgies de Viviane Forrestier, ni les recherches psychanalytiques d’Hélène Cixous, n’y trouvent d’écho. […] Il est, sans aucun doute, différent. »

 

« Le pays a beau s’être libéré politiquement et économiquement, le corps, lui, continue à subir l’anathème des interdits. La participation physique de la femme à la guerre libératrice avait pourtant brisé pour une époque certaines barrières jusque-là infranchissables, elle avait jeté au feu le voile de la pudeur claustrale qui réprime à la fois le dessin du corps, la précision du geste, la profondeur du regard et le timbre de la voix. La lutte avait uni autour d’un même combat et d’une même revendication les sexes désunis par les tabous. Mais l’indépendance acquise, « le son de nouveau coupé, le regard de nouveau interdit reconstruisant les ancestrales barrières », dira Assia Djebar dans l’essai qui clôt son livre. Un certain imam ne vient-il pas de publier tout récemment un ouvrage (« Siham el-Islam ») où il prêche, versets falsifiés à l’appui, que la femme ne doit en aucun cas s’aventurer dans l’espace social extérieur (surtout celui du combat) de peur d’y perdre la féminité ! »  (p. 26)

 

 « L’entreprise que l’auteur s’est fixée de restituer le langage ‘souterrain’ de personnages habitués à chuchoter ou à se taire n’est pas du tout facile. Le langage des femmes est déjà porteur d’écarts linguistiques (par rapport au langage dominant de l’homme). Faire passer ce langage par le canal d’une traduction complique encore plus la restitution. Mais, mises à part toutes les difficultés d’ordre méthodique, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur certains exemples (ou situations) et un certain regard de l’auteur. Dans quelle mesure, par exemple, Sarah peut-elle, avec sa Peugeot, son magnétophone, ses écouteurs et son « week-end musulman », passer pour une personne qui « profère sous le masque ? » A moins qu’il ne s’agisse d’un autre genre de masque. Depuis quand le « Vieux » (j’ai compris El-Hadj M’hamed El Anka) est-il le chanteur des « adolescents en désarroi et des intellectuels déracinés ? »

 

Assia Djebar, « Un écrivain, une femme », Le Matin (Alger) 21 Novembre 1999, Ghania Hammadou

 

J’ai rencontré Assia Djebar la première fois en 1994 à Paris, plus exactement au Centre culturel algérien … Récemment arrivées en France, nous hantions, une amie et moi-même, les lieux où nous pouvions retrouver d’autres compatriotes pour parler du pays que nous venions de quitter précipitamment. Assia Djebar nous avait invitées à la cafétéria du centre, et là, dans la salle totalement vide, après avoir écouté nos récits avec une attention douloureuse, l’écrivain qui avait si longtemps témoigné et prêté sa plume à ses sœurs muettes nous lança cette exhortation : « Ecrivez, écrivez tout cela… Ne laissez pas à d’autres vous déposséder de vos histoires, de vos expériences… »

 

La belle dame au regard triste et de sombre vêtue nous quitta devant une bouche de métro. La vision de la silhouette élancée s’engouffrant dans le tunnel réveilla en moi des souvenirs : odeur de jasmin, murmure de voix féminine dans des patios fleuris, confidences feutrées, chant d’amour et de liberté fantasmée… et puis cette plainte, comme un poème:

 

« C’est moi – moi ?

-- C’est moi qu’ils ont exclue, moi sur laquelle ils ont lancé l’interdit

C’est moi – moi ?

-- Moi qu’ils ont humiliée… 

Moi qu’ils ont encagée

Moi qu’ils ont cherché à ployer, leurs poings sur ma tête (…)

C’est moi, c’est moi qu’ils ont voulu étouffer (…)

Je suis – Qui suis-je ?

-- Je suis l’exclue… »

 

Dans ma mémoire toujours ces mots, réminiscence de Femmes d’Alger dans leur appartement, le premier texte que j’avais lu écrit par celle qui venait de s’éclipser, résonneront comme un cri ou plutôt une transgression du silence qu’il dénoncent et auquel ils s’attaquent : ce qui est la même chose pour les musulmanes dont le son même de la voix portée un peu haut est désobéissance ! Parce que jalonné des complaintes populaires, de chants de femmes, de stances introuvables qui avaient bercé mon enfance ; parce qu’écrit à la manière d’un divan dédié aux corps emprisonnés et à la parole étouffée, aux voix depuis des siècles emmurées, à cette langue souterraine au timbre féminin à laquelle il fallait, disait l’auteur, « rétablir le son » -- un divan pour porteuses d’eau ou porteuses de feu réduites au mutisme --, je l’ai gardé de longues années à mon chevet.

 

Pour me rappeler aussi qu’il est des femmes près de nous qui osent dire enfin comment le regard de l’homme, celui du père, du frère, de l’époux mais aussi de l’autre, de l’étranger, ici du peintre Eugène Delacroix, est notre première prison… 

 

« Assia Djebar »

Ecrivain de langue française, Assia Djebar avoue : « Je ne pouvais pas dire « je t’aime » en français et je ne savais pas le dire autrement… Il m’apparaissait soudain que je ne pouvais, que je ne devais le faire qu’en arabe… » Alors, le blocage ? Comme d’autres écrivains algériens, notamment Kateb Yacine, Assia quitte l’écriture à proprement parler pour s’exprimer par d’autres canaux. Ce fut le théâtre pour Kateb, Assia choisit le cinéma.

 

Son premier film La Nouba des femmes du Mont-Chenoua (prix de la critique internationale de Venise) est une autobiographie. Des femmes de Cherchell, de Hadjout, du mont Chenoua racontent à leur manière, et dans leur langue, leurs souvenirs de la guerre de libération. Cette mémoire féminine hante Assia Djebar. Il faut restituer aux femmes algériennes la parole. Leur parole. Son deuxième film, La Zerda est un montage d’archives sur le thème « mémoire et histoire ».

 

Puis, comme si ce détour par le cinéma n’était qu’un exercice d’exorcisme, apaisée, réconciliée avec ce « parler féminin d’enfance » que ni l’arabe ni le français ne peuvent reconstituer, Assia revient à ses amours premiers, c’est-à-dire l’écriture. Alors, coup sur soup, après la belle traduction de Ferdaous, une voie en enfer de l’Egyptienne Nawal Es-saâdaoui, Assia livre : Femmes d’Alger dans leur appartement. Un livre tragique où les mots, tissés comme un chapelet de grand-mère, interrogent d’anciennes militantes et maquisardes projetées soudainement dans cette Algérie où les femmes n’ont que la place du silence…