Revues françaises, francophones – citations
La femme sans sépulture c’est Zoulikha, héroïne oubliée de la guerre d’Algérie, montée au maquis au printemps 1957 et portée disparue deux ans plus tard. Femme exceptionnelle, si vivante dans sa réalité de mère, d’amante, d’amie, d’opposante politique, dans sa démarche de liberté qui scelle sa vie depuis l’enfance et qui ne l’a jamais quittée sa présence irradiante flotte à jamais au-dessus de Césarée… (Albin Michel)
Sophian Fanen, « La part poétique de la guerre », Dernières nouvelles d’Alsace, 27 mars 2002 : 11 septembre 2001 à New York, forcément le choc et l’horreur. Assia Djebar enseigne à une université de la ville [New York University]. Elle a achevé peu avant un nouveau roman qu’elle compte appeler « Les oiseaux de la mosaïque ». «Lorsque les deux tours se sont écroulées, je me suis mise à penser à toutes ces familles qui n’auront jamais de corps sur lequel pleurer, et j’ai décidé de changer le titre de mon livre. Les filles de l’héroïne ont également été privées de toute trace de leur mère décédée. » Ce sera donc « La femme sans sépulture ».
Héroïne oubliée Une journaliste sans nom – on l’appellera plus loin « l’étrangère » -- arrive à Cherchell, ville antique chargée d’ambiance méditerranéenne qui transpire de toutes les lignes du livre. Elle vient y réaliser un reportage sur Zoulikha, femme moderne de l’Algérie des années 50 et héroïne oubliée de l’indépendance algérienne, qui divorça de son second mari pour divergence politique. A travers son périple sur les traces de Zoulikha, c’est son enfance et ses manques qui resurgissent brutalement. La mort d’un père, le déracinement aussi. Le doute s’installe peu à peu : derrière le personnage, c’est l’écrivain qui transparaît. … Part autobiographique La femme sans sépulture reprend plusieurs thèmes déjà présents dans ses précédents romans : la femme seule, la ville et la liberté de déplacement. Mais une nouvelle dimension fait apparition.
« Il y a une part autobiographique que je n’ai pas cherché à cacher dans cet ouvrage. Mon père est mort en 1995. Son corps a été ramené à Alger, mais en tant que femme je ne pouvais voir son corps avec le troisième jour des funérailles. J’ai alors préféré partir. »
Cette blessure restée ouverte a poussé Assia Djebar à achever un texte pourtant débuté il y a longtemps.
« J’ai commencé à m’intéresser à Zoulikha en 1975, lorsque je suis revenue dans la maison de mon enfance et qu’on m’a parlé d’elle, ma voisine d’alors. J’ai rencontré ses deux filles peu après, et j’ai commencé à écrire son histoire en 1981, sans l’achever. Je n’ai repris le texte que cet été, ne pas avoir terminé ce livre plus tôt. » … « Dans toute guerre, il n’y a pas que des morts et des massacres. Il y a aussi de la vie, des choses qui continuent à exister, des histoires ».
Elle a voulu raconter celle de Zoulikha entremêlée à la sienne.
Monique Verdussen, « Portrait d’une femme sans sépulture », Albin Michel communiqué de presse, La Libre Belgique, 24/05/02 : « Ton père, je le rencontrai par hasard : son allure de fermier comme mon propre père, maquignon de son métier et sachant à peine quelques mots de français… De connaître quelqu’un qui se mit à m’admirer, à m’appeler « Lalla », cela, ma fille, après tant de douleurs et de combats, ce fut comme une couverture de chaleur dont il m’enveloppa à tout jamais. »
… A travers « La femme sans sépulture » qui combattit dans les maquis de la guerre d’indépendance, c’est à un devoir de mémoire que tend son dernier roman. On sait combien les femmes furent actives dans le conflit qui opposa l’Algérie à la France. On sait aussi comment elles furent ensuite reléguées dans l’oubli, en dépit d’une victoire pour laquelle elles avaient lutté aux côtés des hommes ou à cause de « déshonneur » que viols et tortures leur avaient injustement infligé aux yeux des leurs. Mais l’oubli relève parfois des « citoyens ordinaires » qui préfèrent penser que rien ne s’est jamais vraiment passé, pas même « cette nouvelle saignée » des dix dernières années. L’oubli peut encore sourdre d’un manque de certitude quant au sort réservé aux victimes d’enlèvement par l’ennemi.
Témoignages C’est de ce dernier oubli qu’émerge, sur une large fresque féminine qui brasse les âges, le personnage de Zoulikha, femme demeurée sans sépulture, parce que disparue sans laisser de traces après avoir été arrêtée par l’armée française en 1959. Il apparaît clairement, depuis peu, combien les exactions longtemps occultées de la guerre d’Algérie suscitent dorénavant de polémique en France. Il apparaît peut-être moins combien les victimes d’hier ou d’aujourd’hui qui gardent au cœur et au corps des blessures à vif sont tenues dans l’ombre par leur propres compatriotes qui préfèrent étouffer leur désarroi en s’affalant devant la télévision ou en s’assemblant dans les boîtes des beaux hôtels. Dans ce contexte, le roman inspiré à Assia Djebar par la vie et la mort d’une héroïne de sa ville d’enfance – Cherchell, autrefois appelée Césarée – prend un relief singulier et d’autant plus exemplatif que tout ce qui concerne la jeune femme relève d’une « approche documentaire » et, donc, du souci d’être au plus près de la réalité. Une réalité d’exigence et de force en dépit de ses fragilités et tendresses. »
B.R. « Engagement », féminina, Lausanne, 9.06.2002 : Un destin peu ordinaire C’est toujours d’une plume vibrante de passion qu’Assia Djebar traite ses personnages et les décors de ses romans. Dans ce dernier récit, hommage à Zoulikha … le lecteur suit pas à pas la vie d’une femme du peuple partie au maquis en 1957. Arrêtée par l’armée française, elle ne reparut jamais. Au-delà de la violence que l’écrivaine décrit sans concession, les mots forment un long chant d’amour contre la haine.
Jean-Philippe Mestre, « Algérie et autres drames », La Tribune Le Progrès 1 Avril 2002 : La femme sans sépulture. – Zoulikha fut une vraie héroïne de la guerre d’Algérie, disparue après son arrestation par l’armée française. Assia Djebar, originaire comme elle de Cherchell, la vieille Césarée, a enquêté auprès de ses proches pour retracer son portrait. Mais l’écrivain va plus loin que l’objectivité des faits et la fragilité des mémoires, pour tisser, avec la polyphonie des émotions, des sensations vécues, des voix multiples, le chant des femmes qui donnent la vie à l’histoire des hommes.
François Rosso, « La Mauresque dévoilée », Nice Matin Dimanche, 9 juin 2002 : C’est un livre rare. C’est un livre parlé plus qu’écrit mais pourtant infiniment soigné, sculpté, modulé à l’image des récits des conteurs qui, là-bas, sur les autres rives de la Méditerranée, tiennent le cercle des auditeurs en haleine du soleil de midi à la nuit, quand il fait décidément trop brûlant pour quitter l’ombre du patio, ou de crépuscule à l’aube, …
L’histoire de Zoulikha est un long récit de femmes, d’une femme, qui coule comme une source. C’est une cascade de mots que rien ne vient délier, un murmure continu et envoûtant. …
[Assia Djebar] est la parole et le mot qui n’ont en commun que le ton : juste. Juste dans l’évocation d’une Algérie disparue et juste dans le drame algérien qui n’en finit pas de ressurgir, …
C’est un livre à écouter glisser en soi pour découvrir – ou retrouver – un pays de traditions fortes et de bonheur simples, pour revivre les prémices d’une guerre qui est encore marquée par le sceau des passions destructrices.
Zoulikha n’est pas une pasionaria en fureur, une femme d’armes attirée par la seule odeur de la poudre, une aventurière aux repères flous… Non, c’est une femme qui est née avec des idées de liberté et d’égalité en tête dans une Algérie berbère où les mères et les sœurs sont voilées, une Algérie des montagnes à chèvres, semblant « vouée à la torpeur éternelle », mais rattrapée au fil des jours par la folie des attentats de la capitale.
Alors, elle prend le maquis, comme elle avait déjà pris ses libertés avec les convenances ancestrales, pour ne pas avoir à subir le joug d’un monde imposé, pour se battre contre ce qui lui paraît être injuste. …
Zoulikha n’apparaît pas, sinon au travers de monologues entrecoupant les conversations de celles qui l’ont aimée. C’est ce qui donne plus de puissance et de mystère à ce livre, hymne aux combattantes de toute la terre, de marie, déjà, à Zoulikha dont le récit de l’agonie résonne, dans la lumière de ce qui fut le paradis, comme une descente aux enfers qui conduira à la sanctification.
R. Peravayre, « Les mosaïques de Césarée », Voix du Midi : Non, ce ne sont pas les circonstances de l’actualité (l’année de l’Algérie) ni les documents télévisés qui traitent de façon récurrente ce qu’à l’époque on appelait pudiquement « les événements d’Algérie » qui font que la lecture de ce roman est si attachante, si émouvante. […]
La réalité historique est présente, certes, mais émiettée dans un récit éclaté, mélangeant le temps de la guerre, le temps présent, la Zoulikha d’avant, la Zoulikha de maintenant, avec ses filles à travers lesquelles elle revit. Tous ces fragments éparpillés font une mosaïque d’où apparaît, tragique et bouleversant, le portrait de cette femme sans sépulture. Une mosaïque et une polyphonie à la fois exposant des récits qui se recoupent ou s’unissent sur les terres chaudes de Césarée. A lire de toute urgence !
Patricia Perron, « La femme-oiseau », Ici, 1-7 août 2002 : Toute sa vie d’adolescente et de femme, Zoulikha fut traitée d’ « anarchiste » et de « déguisée », aussi bien par les colons français que les villageois de Césarée, aujourd’hui Cherchell. En rejetant le voile dès les années 1920, elle s’affirma comme une pionnière de l’émancipation en Algérie. […]
C’est d’ailleurs dans la langue des Descartes, Racine, Diderot et Victor Hugo que Djebar a senti le besoin de raconter la vie de cette femme unique. Plus encore, elle a ressenti comme son devoir d’écrivain la narration de cette histoire, au nom des femmes aux voix et aux corps bâillonnés dès la puberté pour « sauvegarder » leur identité, d’abord sous l’occupation française, puis face à la montée de l’intégrisme dans les années 90. […]
Car Djebar donne la parole à celles qui connurent Zoulikha. Que ce soit sa fille aînée Hania, sa cadette Mina, l’amie de sa mère Lla Lbia – « seul appui de Zoulikha » durant les dernières épreuves de sa vie – , ou sa tante, toutes évoquent par bribes, avec force proverbes et paraboles arabes, la « vie de combat, interrompue à quarante-deux ans », de Zoulikha.
G.P.E. « Zoulikha, une femme libre », Nord Eclair « En deux cents pages, belles et poignantes, la romancière Assia Djebar brosse le portrait intime et politique d’une femme libre, mère, amante, amie, engagée aussi et surtout, dans une Algérie en pleine tourmente. »
Jacques de Decker, « Zoulikha de Césarée », Le Soir (Bruxelles), 05.06.02 : … La sépulture circonscrit l’espace de leur souvenir, son absence en fait des âmes errantes : nombreuses sont les cultures fondées sur ce constat…
Autour de ce thème, Assia Djebar nous donne un roman qui à son tour hante durablement son lecteur. Djebar n’écrit jamais un livre de plus, on le sait, son œuvre est construite au fil de nécessités profondes. Mais jamais cet irrépressible devoir n’a paru plus évident que dans « La femme sans sépulture », qui paraît en même temps que ressort « Femmes d’Alger dans leur appartement » […] Le rapprochement des deux livres atteste de la constance de son art, fait de fidélité à l’expérience vécue, de sens du moment révélateur, le tout coulé en une langue d’un naturel, d’une évidence confondantes.
Tout part du fait qu’elle découvre qu’à Césarée, ville où elle vécut dans son enfance, […] elle fut la voisine d’une femme d’exception. Zoulikha n’apparaît pas dans les manuels d’histoire, et pourtant elle est une figure lumineuse de la guerre d’Algérie. […]
La méthode romanesque lui permet d’aller plus loin. Les faits sont relatés, ces réalités objectives que sont ses études (première musulmane à avoir décroché son certificat), ses mariages (par trois fois, elle décida elle-même qui elle épouserait, par deux fois de qui elle se séparerait, son troisième époux étant exécuté par l’armée française), sa descendance et ses engagements. Mais il y a aussi la femme elle-même, dont elle veut déceler le secret. Et, pour cela, rien de tel que la plongée subjective qu’est le monologue intérieur. Trois de ces immersions jalonnent le livre : elles sont superbes, surtout celle où Djebar donne la parole à la suppliciée qui a décidé qu’à aucun prix elle ne parlerait.
Zoulikha a le profil complexe des héroïnes réelles. Qu’ont-elles qui les distingue des autres ? Rien, sinon une étrange détermination, qui parfois fait le malheur de leur entourage. Elles ne sont pas indifférentes à ceux qui les aiment, leurs liens sont profonds, mais une cause les arrache à cette appartenance, pour leur propre malheur aussi. […]
Djebar a voulu rendre ce sacrifice à deux faces. Et, surtout, empêcher qu’avec le temps, son souvenir s’estompe. Et elle témoigne : Zoulikha, quarante-deux ans, veuve de son troisième mari mort au maquis, ayant été contrainte de laisser ses deux enfants si petits dans la maison de la vieille rue d’El Qsiba, Zoulikha hante encore le cœur de la cité antique. Après son arrestation et les tortures subies, elle fut portée disparue. Auparavant, ayant déployé une parole publique, lyrique, il me semble qu’elle s’est, pour ainsi dire, envolée… Femme-oiseau de la mosaïque, elle paraît aujourd’hui, pour ses concitoyens, à demi-effacée ! Or son chant demeure.
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