La femme sans sépulture vues du Maghreb - citations
« La femme sans sépulture », Afrique Magazine, Juillet 2002 : L’auteur des très célèbres Femmes d’Alger dans leur appartement (1980) et de L’Amour, la fantasia (1985) ressuscite ici la figure de Zoulikha, héroine de la guerre d’indépendance de l’Algérie, qui a marqué de son courage et de sa foi en la liberté, la petite cité de Césarée, ville natale de l’auteur.
Ghania Hammadou, «Zoulikha ou la voix souterraine des femmes de Césarée », Lire, Voir, Ecouter : Pareil à un archéologue fourrageant les entrailles de la terre, une fois encore Assia Djebar revient vers des chemins souvent explorés, dont on pensait qu’elle en avait épuisé tous les détours et percé tous les secrets. Une fois encore, le lieu des fouilles est Cherchell, sa ville natale, l’antique Césarée « son nom du passé, Césarée pour moi et à jamais », avec qui, on le sait, elle entretien une connivence, une intimité qui s’amplifie avec la distance et le temps. En arpentant les sentiers de l’histoire de son pays et en labourant ce champ fertile qu’est la mémoire des femmes, anonymes de toutes conditions et de tous milieux, campagnardes ou citadines, bourgeoises oisives ou paysanne laborieuses, notre romancière réussit, avec son dernier roman La femme sans sépulture, à remonter à la surface de l’oubli de resplendissants portraits de femmes.
Dès les premières pages, elle prévient son lecteur : ce livre relatant la passion de Zoulikha Oudai, une résistante de la guerre d’indépendance, une histoire recueillie au printemps 1976 lors du tournage d’un film sur les femmes du Mont Chenoua, est plus qu’un simple témoignage ou un documentaire historique. Aux côtés de l’héroine, à qui fut à l’époque dédié ce film, aujourd’hui au centre de ce livre, on croisera d’autres personnages qui « sont traités ici avec l’imagination et les variations que permet la fiction … » …
Ici encore, fiction et réalité se côtoient et se soutiennent mutuellement sans que l’une écrase l’autre : l’imaginaire a la texture du réel, se confond avec lui et inversement, au point que des être authentiques et ordinaires se muent en personnages romanesques. L’auteur, après avoir planté le décor et présenté les protagonistes, puis tiré les rideaux dans l’épilogue en usant du je, s’éclipse de la scène en tant que tel pour devenir l’ « invitée », la « visiteuse », l’ « étrangère » qui, fondue dans le chœur des diseuses, tantôt mêle ses souvenirs à ceux des témoins de la passion de Zoulikha et participe ainsi au travail de reconstitution, tantôt se tait pour mieux écouter la confidence des autres conteuses. […]
Chaque mot, chaque confidence extrait de la boue de l’oubli par l’auteur de Loin de Médine déblaye le destin individuel de Zoulikha et au-delà, celui de toute une génération de mères et de filles, avant et après l’Indépendance. Ces trésors rassemblés avec la patience d’un chercheur d’or, remontés comme un puzzle, finissent par former une mosaique « selon le modèle des mosaiques si anciennes de Césarée de Mauritanie », au centre de laquelle brille la figure de la maquisarde arrêtée par l’armée coloniale en 1957 et disparue sans sépulture.
Un ensemble de voix se relayent inlassablement pour tisser cette fresque. Parmi elles, celle de l’aînée de Zoulikha, Hania, l’apaisée, et de sa cadette Mina, l’inconsolée. Et puis, venue du quartier des Douaretes, Dame Lionne « Lla Lbia » qui, déroulant l’écheveau de sa mémoire resté intact malgré le temps, se souvient : la nuit de l’assassinat des trois fils Saâdoun, la rage des tueurs ivres d’alcool et de haine, et les femmes dans les patios, sur les terrasses, retenant leur garçons ou guettant le retour des imprudents avec, sur leurs lèvres, déjà les psalmodies du deuil.
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Voici … la femme sans sépulture revient hanter les ruelles et les terrasses, la place romaine et le phare, les fontaines et les patios de sa ville antique et raconter dans un monologue destiné à l’enfant devenue femme à son tour, ses ultimes instants.
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