Assia Djebar les Quatre premiers romans Librairies, L’arbre à lettres
Les Quatre premiers romans concernent la guerre d’indépendance. Déjà la petite musique d’Assia Djebar fait entendre sa différence : Et les femmes, qu’avez-vous fait des femmes ? La militante qui prit le maquis avec les hommes du FLN pour y faire fonction d’infirmière a vite entendu la messe de l’organisation indépendantiste, incapable de se démilitariser et de fonder une république où les aspirations de la moitié de ses habitants n’avaient la moindre chance de voir le jour.
Depuis, exilée en France, rien n’a changé, au point qu’elle en vient à douter de l’utilité de son œuvre, prolifique mais toujours militante. Dans l’une des nouvelles de Oran, langue morte, « elle se demande de quelle nature est la pulsion qui la pousse à continuer si inutilement » …
On a envie de lui répondre que, depuis La Soif, où elle tentait déjà de démêler les racines de la violence algérienne, elle est portée par un même courage, et par cet extraordinaire don d’empathie qui l’amène, aujourd’hui, à se glisser au plus près du corps, du cœur des femmes résistantes et condamnées par l’idéologie intégriste.
Refusant le ton du pamphlet amer, de la dénonciation frénétique, elle est simplement, de l’intérieur, cette femme, dont la stratégie est de changer de nom chaque jour, de casser sa voix ou même de modifier l’accent, le rythme de son dialecte, et qui pour ne pas être reconnue s’exhorte sans cesse à ne plus avoir peur et devient presque indifférente au regard soupçonneux d’un « barbu » qui, face à elle dans un jardin, semble lui contester un instant de halte, sa dernière place au soleil. …
« L’Histoire continue à miner les sphères privées, à y déposer l’ombre d’une lointaine dette obscure ».
Assia Djebar évoque « Les premiers quatre romans » Interview 9.17.85
Q. Quel regard portez-vous maintenant sur ce premier « cycle » de 4 romans, publiés de 57 à 67 ?
Assia Djebar : Le premier roman a presque été un accident, une façon de tourner le dos au réel, parce qu’à ce moment-là, le réel me paraissait plus important. Je faisais la grève des étudiants algériens. Et, avec le recul, je m’aperçois que ce n’est pas bon d’écrire trop tôt : à cause des schémas qu’on vous applique. Mais en fait je m’en fichais. Maintenant, j’aimerais bien qu’il soit réédité. Cela fait au moins 10 ans qu’on me le demande, je disais : à quoi ça sert ? J’ai dû le relie il y a 3 ou 4 ans, et j’ai constaté qu’il n’y avait rien à changer. Je pense qu’il faut le rééditer. Il a, je crois, son public, actuellement. Il a été critiqué parce que c’était, disait-on, un roman d’amour « suspendu » dans le temps alors que l’Algérie c’était toute autre chose…
Le second roman, Les Impatients, je le trouve aujourd’hui un peu compliqué dans son récit. Mais, j’en retiens un lieu. Le premier était sans lieu, un roman d’adolescence, sur le rapport entre deux femmes. Le second est peut-être moins pur que le premier. Mais il y a le lieu : le patio et la maison enfermée. On peut dire que ce sont tous les deux es romans d’apprentissage.
Le troisième, Les enfants du nouveau monde, correspond dans sa construction à ce que je pense du roman. Je l’aime bien. D’abord, il y a cette unité de lieu, et à partir de cela, et de l’unité de temps aussi, c’est un ballet de personnages, les femmes étant au premier plan, les hommes un peu en retrait. Je l’ai rédigé aussi rapidement que les autres, en deux-trois mois. Avec ce roman-là, il faut tenir compte du fait que je ne vivais pas à Alger. A cette époque, j’étais au Maroc, et j’ai reçu une parente qui m’a raconté ce qu’il en était, cette ville où l’on voyait la guerre en observant les montagnes alors qu’on pensait que les femmes étaient enfermées. En fait, elles voyaient la guerre comme un jeu. Entre autres histoires, cette parente m’a raconté celle de cette vieille tuée par un éclat d’obus et qu’on avait ramassée après l’alerte quand on s’en est aperçue. C’est de là que c’est parti. Je pense que c’était un besoin d’être là-bas alors que j’étais absente, une façon de combattre l’éloignement.
Le 4ème, Les Alouettes naïves, n’est plus un roman de jeunesse ou d’apprentissage. Je me rendais pas compte que l’écriture romanesque était peut-être une construction (A 25 ans je me suis dit que j’aurais dû être architecte alors que j’ai fait Lettres !) Le cœur du roman, qui en est d’ailleurs aussi le milieu, introduisait des éléments autobiographiques, très intimes : cela fait que j’ai décidé d’arrêter.
J’ai eu un refus, un refus de femmes, à écrire si près de soi. Je pense qu’à ce moment j’ai commencé par me cacher le problème en me disant qu’il fallait écrire en arabe, puisque je suis arabophone. Le roman était terminé depuis un an. Il est sorti en 67. Je revivais en France, avec des enfants. Comme je ne concevais pas la littérature comme une carrière, ou un besoin continu d’écrire, j’ai cessé. Il y avait un rapport avec la langue bloqué. J’ai cependant écrit des nouvelles mais sans penser à la publication. Puis je suis rentrée à nouveau. J’ai fait un peu de théâtre. Donc, de 68 à 74, il y a eu un passage à vide. Chacun vit comme il peut un rapport difficile avec une langue, moi je me suis plongée dans ma propre vie, en oubliant la littérature ! Je l’ai résolu en retournant vivre en Algérie en 74.
Petit à petit, je pense que je l’ai résolu tout simplement par cette arrivée à l’écriture cinématographique.
Les 4 premiers romans ont été écrits entre mes 20 et 30 ans. Il y a des points de ressemblance entre eux mais pas de continuité romanesque. J’aurais aussi bien pu commencer avec le dernier ! Les autres sont-ils inutiles, ce n’est pas à moi d’en décider. Mais je ne regrette pas les rééditions !
|